Tout sportif de haut niveau pourra vous le dire : un bon niveau sportif s’acquiert par la répétition infinie des gestes techniques et des exercices de musculation.
Problème ? Nos chevaux n’ont jamais signé pour être des sportifs de haut niveau !
C’est nous qui les y forçons, pour un objectif purement personnel. Il est donc de notre devoir de faire en sorte que ces répétitions à l’infini ne soient pas délétères pour eux…
On a vu l’importance de la biomécanique pour éviter les blessures physiques, on a vu l’importance du respect du consentement pour garder une relation saine, on va voir maintenant l’importance de la pédagogie (ou plutôt « équigogie ») pour garder la motivation au travail !
Tourner en rond, c’est drôle pour personne
Je vais commencer par adresser le premier problème chez de nombreux cavaliers qui entraîne une lassitude intense chez leur cheval (et chez eux aussi…) : l’absence de connaissances.
Les cavaliers auxquels je pense savent monter… Mais pas tout le reste ! Et par reste, je pense bien entendu à la longe, mais aussi au travail en liberté, aux longues rênes, au travail à l’épaule… (Je ne parle même pas des cavaliers mono-discipline qui sautent tous les jours ou qui ne font que du dressage sans jamais aller en extérieur.)
Quand je parle de longe, on me répond souvent « ça abîme les jarrets » ou « ça n’a pas de sens pour lui de tourner en rond 20 min » et quelque part, je suis d’accord avec eux. Une longe mal pratiquée (aka trotter en rond pendant 20 min) peut abîmer les jarrets (surtout si on la fait avec un licol en corde et 1 longe de 4m…) et ennuyer son cheval. D’ailleurs, je connais des cavaliers pro qui font des longes 1 à 2x/semaine, 20 à 30 minutes de trot énergique, enrêné, et le cavalier sur son téléphone au milieu…
Mais dire ça, c’est aussi se fermer à la possibilité d’apprendre comment faire une « bonne » longe, sans risque pour le physique ou le mental du cheval, agréable pour le cavalier !
Le principe est valable pour toutes les disciplines mal-aimées, mais je reviendrai dessus dans des articles spécifiques à chaque discipline.
Le premier pas vers la diversité des pratiques et l’absence de lassitude au travail, tant pour vous cavaliers que pour votre cheval, c’est de chercher à apprendre de nouvelles disciplines.
Faites des stages en longues rênes ! Découvrez le travail à l’épaule ! Apprenez (vraiment) à longer !
Le second pas, c’est d’oser oser !
Osez faire ce stage de TREC alors que vous êtes un cavalier d’obstacle. Osez sortir en randonnée quand vous avez fait 6 jours de carrière de dressage. Osez découvrir les figures de cirque alors que vous êtes introverti.
En résumé, osez apprendre à changer d’air : ça fera le plus grand bien à votre cheval et à vous !
Je sais faire plein de trucs différents, mais comment construire mon planning ?
Makeda est la propriété de Flavie Deriaz. Makeda est une jument d’endurance et plus généralement d’extérieur, mais ça ne l’empêche pas de sautiller ou d’être montée sur le plat. Flavie apprécie la diversité des disciplines : fut une époque, elle faisait même pratiquer la voltige dans ses écuries !
Chacun a sa gestion du sujet.
Certains ne feront jamais de planning, choisiront la discipline au jour le jour, au rythme de leur humeur : c’est sympa pour éviter la routine, mais quand on a des objectifs et qu’on veut voir des progrès, c’est pas très efficace…
D’autres au contraire vont faire des plannings très précis et s’y tenir absolument : même si ça apporte une meilleure chance de progression, on court le risque de vouloir monter une reprise importante un jour où on est de mauvaise humeur : et là, contagion émotionnelle oblige, c’est la cata…
Comme vous l’auriez peut-être déjà compris, je suis une personne à compromis.
Ma technique est de faire un planning en prenant en compte les cycles de travail (si ce mot ne vous parle pas, allez lire les articles de l’ifce et d’equisense que je mets en ressources) et j’ai plusieurs disciplines qui correspondent à différentes intensités de travail. Donc chaque jour, pour une intensité donnée, j’ai plusieurs propositions à suggérer à mon cheval. Par ex, un jour de repos, on peut faire du FBT pur, du travail autour d’un sujet particulier (montoir, pieds…) ou une balade en main tranquille dans un environnement intellectuellement stimulant. Un jour de travail intense, on peut faire une séance de longues rênes, une séance de plat, un fractionné en main…
Je fais un suivi des séances sur un tableur Excel, qui me permet de voir la progression du cheval et le respect du planning et des micro cycles. (J’avoue sans honte que j’ai utilisé le tableur d’equisense comme base de travail, car il est très bien fait et rassemble beaucoup d’infos en un seul document.)
En inscrivant en fin de séance ce qu’on a fait précisément (potentiellement différent de ce qui était prévu), on peut constater la diversité des disciplines qu’on a proposé à nos chevaux. On peut aussi voir si nos chevaux ont des cycles d’humeur (tous les lundi, ils préfèrent telle discipline à telle autre, par ex).
En combinant cet outil à un carnet de suivi des séances par cheval, où je note les points psychologiques et physiques que j’ai relevé et qui me permet de constater l’évolution du travail (progression ou régression), je suis équipée pour varier le travail et quand même constater une progression.
Le compromis parfait entre planification et impulsion !
C’est bien beau mais comment savoir que mon cheval est blasé au travail ?
Hawah et Ghadir sont tous deux issus de l’élevage Laurence of Arabians. A l’élevage, tous les jeunes découvrent le monde et l’humain par la pratique du FBT. Les chevaux n’en sont que plus posés et sympathiques !
Tout d’abord, il n’y a pas besoin d’attendre que votre cheval soit blasé pour introduire de la variété dans son quotidien !
Ensuite, chaque cheval exprime son ennui de manières différentes. Globalement, je vais faire un raccourci et dire que « ennui = mal-être » donc tous les marqueurs de mal-être peuvent être provoqués par l’ennui (ou autre chose, comme de mauvaises conditions de vie, des douleurs, etc… Il faut toujours explorer toutes les pistes imaginables devant un marqueur de mal-être).
Les marqueurs de mal-être ont été rappelés par Léa Lansade récemment (cf ressources). Ils consistent en les stéréotypies ou tics, l’agressivité, l’apathie et l’hypervigilance. Mais avant d’en arriver là, vous pouvez essayer de détecter la lassitude dès qu’elle se manifeste, dès la moindre petite baisse de motivation au travail.
Équipés de votre sens aigu de l’observation, de votre oreille attentive à votre cheval et de votre connaissance de ses comportements habituels, vous serez parfaitement capable de détecter une baisse de motivation ou carrément une vraie dépression chez lui !
Par exemple, plutôt que d’imposer à votre monture d’aller en carrière et d’enchaîner les exercices de muscu avec vos kilos sur le dos, demandez-lui s’il est ok pour porter sa selle, s’il est ok pour que vous montiez sur son dos, s’il est ok pour aller en carrière… A chaque non, posez-vous la question : « Ai-je raté une étape dans son apprentissage ? Ai-je bien rendu le travail agréable pour lui ? »
Revenez en arrière dans votre travail avec votre cheval et refaites toutes les étapes en l’écoutant plus intensément pour trouver précisément ce qui n’est pas ok pour lui.
Comme quoi, encore une fois, la réponse est dans notre capacité d’écoute….
/!\ Comme pour tout comportement exprimant un stress négatif, il est important de ne pas se focaliser sur une cause unique mais de remettre en question tout le mode de vie du cheval, en cherchant l’élément non optimal qui lui cause ce stress.
Une fois que l’environnement extérieur est idéal (ou au mieux de nos capacités), n’hésitez pas à surveiller également son environnement interne et notamment les ulcères, les courbatures, les douleurs articulaires, osseuses, musculaires…
Par exemple, certains chevaux sont migraineux et leurs propriétaires tournent en rond pendant des années avant d’y penser. Ne négligez aucune piste si votre cheval vous indique qu’il n’est pas dans son état optimal.
J’ai mes plannings, je pratique plein de disciplines différentes et pourtant, mon cheval ne veut faire que de la balade et déteste la carrière….

Je trouve que Bashshar, sur cette photo, a vraiment la tête d’un enfant qui préférerait faire de la poterie (des balades) plutôt que des maths (la longe en manège)
En dehors de la problématique (cruciale) du planning, il faut aussi savoir gérer la lassitude du cheval dans une discipline.
Imaginez qu’à l’école, on vous ait fait faire plein d’activités différentes, comme poterie ou judo, et qu’à côté de ça, à chaque fois que vous alliez en cours de maths, votre enseignant vous rabâche toujours les mêmes choses à longueur de cours… Forcément, vous allez détester les maths et adorer le reste !
Avec nos chevaux, c’est exactement pareil. Si votre cheval est un peu raide sur un exercice et que vous le pratiquez systématiquement quand vous allez en carrière, forcément il va détester la carrière : ce n’est ni agréable physiquement, ni stimulant intellectuellement !
Au sein d’une même séance, j’essaie toujours de commencer par des choses que le cheval sait faire, qui lui donneront confiance dans sa capacité à répondre à mes demandes.
Ensuite, j’introduis un exercice nouveau : je le demande souvent à pied dans une séance précédente, ce qui fait que l’exercice en lui-même est connu, mais le travail musculaire pour me porter tout en l’exécutant doit être intégré. Au possible, on commence au pas jusqu’à ce qu’il soit systématiquement parfait avant de tenter, plus difficile, au trot et au galop. Rappelez-vous de l’exercice du gainage dans le miroir : si porter un sac de 10 kg en marchant est un peu difficile, vous n’allez pas faire un marathon avec !
Très régulièrement, je reviens à un exercice connu, facile, pour remettre en confiance le cheval. Plus vous avez d’exercices connus dans votre portfolio, plus vos séances seront stimulantes : ce sera une alternance entre connu/inconnu mais non répétitive ! Je recommande, chez un cheval en début d’apprentissage, de faire des séances montées de moins de 15 min, pour éviter la lassitude entre 2 mêmes exercices… (et pour d’autres raisons, évoquées dans un futur article)
Je finis toujours par quelque chose que le cheval apprécie : une roulade (sans équipement) en carrière, un tour en extérieur… C’est un renforcement positif facile et peu coûteux : profitez-en !
Ok, mais moi je fais tous les jours la même chose et mon cheval est super heureux !
Bon déjà, permettez-moi de remettre en question la perception générale du cheval heureux…
Ce n’est pas un cheval « obéissant » ! Souvent, les cavaliers confondent « cheval pratique » (obéissant, immobile, etc) et « cheval heureux », parfois allant même à attribuer les comportements d’évacuation du stress (cheval qui jette son feu au paddock par ex) comme un comportement de joie…
Par ailleurs, il faut garder en mémoire qu’il n’existe aucune règle absolue chez les êtres vivants. On dit bien que le cœur est à gauche dans notre poitrine, et pourtant certains individus naissent le cœur à droite !
De même, la majeure partie des chevaux (bien travaillés, dans de bonnes conditions de vie) se lasseraient avec un planning de travail toujours identique. Mais il existe des chevaux chez qui cette régularité parfaite a un effet positif sur leur comportement : diminution de l’anxiété, réactivation de la curiosité. Chez ces chevaux, il faut soit envisager une prise en charge dédiée à l’anxiété (potentiellement longue et sans travail sportif associé, potentiellement médicamenteuse et donc dopante) soit envisager un planning de travail qui favorise la bonne gestion de cette anxiété.
Les grooms de concours connaissent bien ce problème puisque les chevaux anxieux ont droit à des rituels très paramétrés à chaque départ en concours, pour leur « annoncer » le changement et leur permettre de s’y préparer psychologiquement.
On ne peut pas apprendre les techniques de relaxation mentale à nos chevaux, mais on peut tout faire pour les y aider !
Il faut tout de même garder à l’esprit que ces chevaux sont rares : je n’ai rencontré qu’une jument qui était dans une anxiété pathologique et qui bénéficiait réellement d’un rythme de vie super régulier. Les autres chevaux estimés anxieux sont souvent des chevaux exprimant un mal-être, qui pourraient bénéficier d’une modification du mode de vie et du planning de travail pour récupérer un état mental apaisé.
Alors maintenant que vous savez tout sur comment varier le travail de votre cheval, à vous de jouer ! Et n’hésitez pas à partager ici vos astuces pour maintenir un niveau de curiosité et de motivation suffisant chez vos chevaux. On peut tous découvrir une nouvelle discipline : le horse-ball, le mountain trail, l’équitation de travail…
Amusons-nous, amusons-les!
Ressources
- Article Equipédia de l’ifce sur la construction d’un programme d’entraînement :
https://equipedia.ifce.fr/…/programmer-son-entrainement-exe… - Article Equisense + Excel de programmation d’entraînement :
https://blog.equisense.com/programmer-entrainement-cheval/ - Les articles de vulgarisation de Léa Lansade :
- Les tics : https://m.facebook.com/story.php?story_fbid=136569308033455&id=100050411580637
- L’apathie : https://m.facebook.com/story.php?story_fbid=139294781094241&id=100050411580637
- L’agressivité : https://m.facebook.com/story.php?story_fbid=141168920906827&id=100050411580637
- L’hypervigilance : https://m.facebook.com/story.php?story_fbid=144080510615668&id=100050411580637